Le Yi Jing
Texte fondateur du mode de penser chinois, le Yi Jing est un diamant méconnu. Il a servi de base conceptuelle, de vocabulaire intellectuel et de référence philosophique à la quasi-totalité de ce qui s’est pensé en Chine durant ces deux derniers millénaires. C’est dans ce texte qu’apparaît pour la première fois le concept (et les mots) de « Yin-Yang », et l’on peut presque dire qu’il est à la source même de l’écriture idéographique.
Structure de l’ouvrage
Le Yi Jing ne prédit pas l’avenir, il analyse le présent pour permettre à chacun d’y insérer son agir de la manière la plus appropriée qui soit en fonction de la configuration spécifique de la situation. Pour y arriver, le Yi Jing se présente sous la forme d’un texte de 64 chapitres, chacun présentant une situation-type de la vie quotidienne ramenée à sa structure énergétique et résumée en termes de Yin-Yang par un schéma linéaire formé d’un assemblage organisé sur six niveaux (les hexagrammes). Ces schémas, dont la lecture ne demande aucune connaissance de chinois, ont rendu le Yi Jing universel. Il renseigne sur le type de situation dans laquelle on se trouve en montrant la dynamique spécifique qui l’anime, permettant ainsi à chacun de placer son agir au centre actif du moment, tel le surfeur sur la vague.
Historique
Dans l’Antiquité, les souverains de la dynastie des Shang (18° – 11° siècle avant l’ère commune) consultaient leurs ancêtres défunts, lorsqu’ils avaient des décisions à prendre. Ils avaient recours à des offrandes de viande avec leurs os, qu’on plaçait sur des brasiers sacrificiels car le feu était réputé pour pouvoir traverser les mondes. La chaleur produisait sur les os des fendillements qui étaient « lus » comme la réponse des ancêtres à la question qui leur avait été posée. Au fil des siècles, les Chinois s’aperçurent que la réussite ou l’échec d’une entreprise dépendait moins de l’opinion que pouvaient en avoir des ancêtres défunts que de son adéquation avec le moment.
Les offrandes carnées furent abandonnées au profit des carapaces de tortue. A cause de leur forme, ronde comme le ciel pour la partie dorsale et un peu carrée comme la terre pour le plastron ventral, les tortues sont une sorte de modèle réduit de l’univers. Les brasiers furent remplacés par des tisons chauffés appliqués en des points précis de la carapace, préalablement évidés de manière à réduire les fendillements possibles à des formes prédéterminées et donc plus faciles à analyser. Les carapaces étaient conservées et soigneusement archivées de manière à vérifier et affiner a posteriori les diagnostics qui avaient été établis. Pour en garder le souvenir les officiants prirent l’habitude de graver à même les carapaces de signes mnémotechniques résumant leurs appréciations. Ces ancêtres des idéogrammes chinois se retrouvent directement dans les textes du Yi Jing.
De la tortue au Yi Jing
A l’époque de la fondation de la dynastie des Zhou, au tournant du dernier millénaire avant notre ère, l’antique système des brûlages a été progressivement abandonné et remplacé par une consultation directe des archives. La procédure de détermination de l’archive correspondante s’appuyait sur la conception cyclique du temps. L’interrogation portant sur la configuration énergétique d’un moment ne pouvait être unique, il y avait forcément déjà une tortue portant les mêmes types de fissures que celles qui seraient apparues si on avait procédé à un brûlage. Il suffisait de déterminer laquelle selon un procédé aléatoire, la méthode des tiges d’achillée.
Par la suite, on chercha à alléger le système. Remarquant que finalement les appréciations portées sur les carapaces de tortue étaient le fait d’un petit nombre de caractères, on les regroupa par similitude et on les retranscrivit sur un support plus maniable, des baguettes de bambou. Il ne restait plus aux lettrés de l’époque qu’à polir le texte et à réduire la variété des circonstances à soixante-quatre situations-types. Ce n’est que bien plus tard, vraisemblablement vers le 3° siècle avant l’ère commune, qu’apparaîtront les représentations linéaires, continue pour Yang, redoublée pour Yin, qui seront à l’origine de la construction du réseau de relations réciproques entre les hexagrammes (opposé, nucléaire, dérivé, etc.) et qui aboutiront finalement à l’invention des trigrammes au tournant de l’ère commune.
Le texte et les commentaires
C’est finalement durant la dynastie des Han que le Yi Jing prendra sa forme définitive : un texte originel réparti en soixante-quatre brefs chapitres et de commentaires canoniques organisés en dix sections.
La « légende dorée » du Yi Jing lui assigne comme créateurs quatre des plus grands héros de l’histoire chinoise. Tout d’abord Fu Xi, le père de la civilisation chinoise, mythique inventeur des quatre piliers sur lesquels elle repose : l’écriture, les rites, la cuisine et le Yi Jing. Le deuxième fut Wen Wang qui vécut réellement et fonda, vers 1100 avant notre ère, la dynastie des Zhou. Vient ensuite Zhou Gong, son second fils, administrateur modèle et dont disait s’inspirer le quatrième personnage de cette légende fondatrice : Confucius lui-même.
A partir de la dynastie des Han, le Yi Jing servira de référence officielle, de vocabulaire de base et de théorie globale à la quasi-totalité de tout ce qui se pensera en Chine jusqu’à l’invasion des troupes coloniales occidentales.
Au 20e siècle, il a connu une large diffusion en occident, qui a découvert l’héritage des pensées non-européennes. Le Yi Jing connaît aujourd’hui un regain d’intérêt en Chine même, où il est à nouveau enseigné et étudié de manière officielle.
Le Centre Djohi, association sans but lucratif, dont Cyrille J-D Javary est le président depuis sa fondation en 1985, a pour but de tisser le lien entre tous ceux que passionnent l’étude et l’usage bénévole du Yi Jing,
Les 10 piliers du Centre Djohi
Analyse raisonnable des réponses du Yi Jing suivant les méthodes traditionnelles chinoises :
1 – L’obligation d’une formulation écrite et datée de la question avec un verbe d’action dont la personne concernée est le sujet.
2 – Une certaine considération pour ce qui est en train de se dérouler durant les manipulations des baguettes ou des pièces.
3 – Une attention non négligeable portée à la lecture directe, visuelle, des figures linéaires donc une représentation la plus grande possible au moins des hexagrammes-réponse* et au mieux aussi des hexagrammes d’analyse*.
4 – Une détermination pour la primauté de la lecture hexagrammatique des hexagrammes réponses, notamment par l’examen des six niveaux* constituant l’architecture fondamentale des figures linéaires.
5 – La prise en compte en parallèle et dans la même tranche de temps des deux hexagrammes-réponse : l’hexagramme de situation* et de l’hexagramme de perspective*.
6 – La recherche de compléments d’informations sur l’hexagramme de situation par l’analyse de l’hexagramme opposé* et de l’hexagramme nucléaire*.
7 – L’analyse des trigrammes intérieurs, extérieurs et constituants des hexagrammes-réponses.
8 – La prise en compte des lignes mutantes (nombre, nature, situation par rapport aux six niveaux, passage de yin à yang ou de yang à yin, etc.).
9 – L’utilisation des hexagrammes dérivés* comme indication résumée de l’« atmosphère » propre à chaque ligne mutante, considérée une par une.
10 – La confirmation et la particularisation des données obtenues par les grilles d’analyse précédentes au moyen de la lecture des textes.
Mots-clés
- les hexagrammes-réponses sont l’hexagramme de situation et l’hexagramme de perspective. Ils ne dépendent que du consultant, ce sont des données circonstancielles.
- les hexagrammes d’analyse sont l’hexagramme nucléaire et l’hexagramme opposé. Ils ne dépendent pas du consultant, ils découlent structurellement de l’hexagramme de situation.
- l’hexagramme de situation est celui qui apparaît à la suite des manipulation du consultant (baguettes ou pièces). Il constitue la réponse fondamentale du Yi Jing et toutes les autres grilles d’analyse doivent concourir à sa compréhension.
- les six niveaux sont les fonctions abstraites dévolues à chacun des traits : entrée, préfet, passage, ministre, souverain, sortie.
- l’hexagramme de perspective est l’hexagramme obtenu par mutation des lignes mutantes de l’hexagramme de situation. Il ne représente pas le futur de la situation décrite par l’hexagramme de situation mais sa propension, ce vers quoi elle tend à l’instant de la consultation. Dans le cas où l’hexagramme de situation ne comporte aucune ligne mutante, l’hexagramme de perspective est l’hexagramme de situation : la situation est à elle-même sa propre perspective.
- l’hexagramme opposé est la figure obtenue en remplaçant chaque trait yin ou yang de l’hexagramme de situation par son opposé yin par yang et yang par yin. Il représente ce que la situation n’est pas.
- l’hexagramme nucléaire est l’hexagramme obtenu à partir des quatre traits centraux de l’hexagramme de situation. Il en indique la dynamique interne.
- les hexagrammes dérivés sont les hexagrammes obtenus par mutation d’une seule ligne d’un hexagramme quelconque. Ce sont des données structurelles qui permettent d’affiner la compréhension des lignes mutantes que le consultant a particularisées dans son hexagramme de situation.